A la cour de Louis XVI, le jeune duc d’Angoulême, âgé de neuf ans, salua Suffren de ces mots : "Monsieur le bailli, je lisais les Hommes illustres de Plutarque, mais je quitte mon livre avec plaisir parce que j'en vois un." Il répétait évidemment une leçon, mais il saluait en effet un héros.
Ce lui qui devait laisser le souvenir d'un des plus grands marins du XVIII siècle est né à Saint-Cannat, près d'Aix-en-Provence, le 17 juillet 1729.
Entré dans les gardes de la marine à peine âgé de quinze ans, il participe à la bataille de Toulon à bord du Solide et, jusqu'en 1783, toute sa carrière va se dérouler à la mer, soit au service de l'ordre de Malte (il est chevalier de l’ordre), soit surtout au service du roi de France.
Pendant les guerres de la Succession d'Autriche et de Sept Ans, il combat contre les Anglais aux Antilles, au Canada, à Minorque, à Lagos.
Lors de la guerre d'Indépendance américaine, Suffren participe à la campagne sous les ordres de d'Estaing. Il s'illustre à Rhode Island et à la Grenade.
Il est alors en pleine possession de ses moyens et fait figure de remarquable chef de guerre, même s'il ne paie pas de mine. "De tenue et de tournure bizarres...", il a "plus l'apparence d'un boucher anglais, trapu et vulgaire que d’un Français de qualité".
Gros mangeur, sanguin, coléreux, de relations difficiles, il affiche un tempérament offensif exceptionnel et des idées en rupture avec la tactique de l'époque fondée sur les combats en ligne de file.
Fort de son expérience et de l'étude des batailles de l’amiral Ruyter il recherche l'action décisive, en particulier la manœuvre permettant la concentration des moyens sur une partie de la flotte adverse.
En 1781, il reçoit le commandement d'une division destinée aux mers des Indes dans le dessein de paralyser le commerce anglais et de soutenir l'action des princes hindous du Carnatic alliés aux Français.
Ce commandement va lui permettre de donner toute sa mesure. Dès son passage aux iles du Cap-Vert, il surprend et attaque à Praia une escadre anglaise de 35 vaisseaux et s'ouvre la route du Cap.
Dans l'océan Indien, en dépit de difficultés matérielles énormes et de l'absence de véritables bases, il livre un duel farouche au contre-amiral Hughes marqué par les engagements de Sadras, de Provédien, de Trinquemaley, de Négapatam et de Gondelour le 20 juin 1783.
En dépit de hardiesses tactiques, aucune de ces batailles n'est décisive. Suffren se heurte à la valeur de l'adversaire et surtout à l'indiscipline de ses capitaines de vaisseau avec lesquels il entretient des relations détestables.
Le retentissement de ces actions n'en est pas moins considérable et Suffren connaît un retour triomphal en France. Il s'apprête à recevoir le commandement de l'armée navale, quand il meurt d'une mystérieuse maladie le 8 décembre âgé de 59 ans..
Plusieurs années plus tard, Napoléon dira de lui "Oh ! pourquoi cet homme n'a-t-il pas vécu jusqu'à moi, ou pourquoi n'en ai-je pas trouvé un de sa trempe, j'en eusse fait notre Nelson, et les affaires eussent pris une autre tournure, mais j'ai passé tout mon temps à chercher l'homme de la marine sans avoir pu le rencontrer"
En hommage à l'illustre amiral, sept navires de la marine nationale portèrent son nom. Et dans un futur proche, un des sous-marins nucléaires d'attaque de classe Barracuda portera son nom.
Le cuirassé Suffren, mis à l'eau en 1899, cet énorme bâtiment de ligne sera torpillé en 1916 au large du Portugal.
La frégate lance missile Suffren, mise à l'eau en 1968. Premier bâtiment lance-missiles de construction entièrement française. Une silhouette reconnaissable entre toutes grâce à son radar tridimensionnel recouvert un radome de 11 mètres de diamètre. Ce navire fut désarmé en avril 2001 après trente ans de bons et loyaux services.